C'est ça la jeunesse en colère?
Tract trouvé sur Indymedia Grenoble:
Notre éducation, et avec elle la société qui la produit, est aujourd'hui une vaste entreprise de décervelage des individus. Nos vies y sont tronquées et nos désirs muselés. Le ciselage de l'ennui en heures et en demi-journées, la voix des professeurs qu'on écoute sans réfléchir, la fabrication des cages que l'on traverse au fil des générations (familles, écoles, usines, hospices) dépendent de forces extérieures, vastes systèmes de hiérarchies bureaucratisées nourries à la résignation collective. L'école forme le « citoyen » de demain en l'habituant dès aujourd'hui à n'avoir pas d'emprise sur sa vie. Déjà, il est contrôlé, surveillé, fiché par le lycée. Déjà, on occupe ses journées par des heures de silence imposé. Déjà, il a des «devoirs» et le droit de bien les faire. Déjà, il apprend à donner sa voix aux spécialistes et aux gestionnaires qui savent bien mieux que lui comment organiser sa vie (« c'est leur travail »). Peu à peu, chacun apprend et fait mine de s'approprier le chemin qu'on lui a choisi (ligne droite où l'Autre est, au mieux un allié, sinon un obstacle). Les restants de révolte, s'il y en a, pourront venir mourir dans un bulletin de vote « contestataire » ou un quelconque défilé citoyen, et n'empêcheront pas le long formatage auquel on nous prépare.
Pourtant, des failles s'ouvrent parfois. Les manifestations lycéennes de ces derniers temps ont posé les fondements d'un changement possible : sortir des bulles qui nous isolent et nous laissent seuls au milieu des autres, dans les files d'attente, les métros, les immeubles. Sortir des salles de classe où l'on apprend le silence, pour se rencontrer, discuter, s'engueuler parfois, et faire la fête. Inventer d'autres mondes nécessite d'abord de sortir du nôtre. Les manifestations lycéennes, et toute action légale ou illégale visant à reprendre le contrôle de nos vies, sont autant de moyens pour contourner le présent imposé et faire vivre nos désirs sans attendre. Les professionnels du république-bastille (profs et élèves zélés, adeptes de petites chansons et de services d'ordre musclés) ne manqueront pas, pourtant, de nous rappeler à l(eur) ordre à grands coups de « réalisme » adulte, et s'obstineront à frapper la « réforme Fillon » quand c'est toute la réalité qu'il s'agit d'atteindre pour la bouleverser. Demander « plus de moyens », « plus de postes » ou « plus d'argent », sans s'interroger sur le fond du problème (soumission, culte du travail, ennui), revient tout simplement à donner de l'argent à ceux qui se font un devoir de nous dresser et de nous endormir chaque jour un peu plus. Leurs revendications ne sont et ne seront jamais les nôtres. Tristes, les grands syndicats lycéens et leurs slogans castrateurs de désir (« Education on t'aime, et on veut te garder »…). Tristes, les pétitions et leurs fières exigences de maintien du Bac actuel, des cours actuels, du monde actuel. Tristes, ces jeunes manifestants qui cachent derrière des discours « raisonnables » le désir, pourtant essentiel, de fuir l'école pour se rencontrer et crier ensemble. La jeunesse crève de sérieux et de réalisme.
En réalité, la réforme Fillon ne fera que huiler un mécanisme déjà bien rodé de reproduction des inégalités sociales, et s'en étonner révèle soit de l'aveuglement soit de la mauvaise foi. L'école, en s'attachant à préparer l'enfant au monde qui l'attend, a toujours eu pour rôle de fournir la main d'œuvre nécessaire au bon fonctionnement de l'injustice sociale : les prolos feront des précaires, les patrons feront des manageurs, et la (sur)vie suivra son cour… Les professeurs anti-Fillon, qui quittaient il y a peu leurs estrades pour venir jouer à la révolution avec leurs «potes» lycéens, semblent bien plus à l'aise pour sauver leurs salaires/retraites/vacances que pour remettre en cause leur rôle dans la société. Il faut se rendre à l'évidence : le prof qui gueule pour son salaire (ou pire, le lycéen qui gueule avec lui) ne vaut pas mieux que le beauf réactionnaire « pris en otage » par les méchants grévistes. Ils s'accordent bien entre eux pour dresser la jeunesse et briser, dans le calme et la bonne humeur « démocratique », toute tentative de changement réel. Dès lors, il s'agit pour les lycéens de dépasser les limites du débat qu'on cherche à leur imposer. Discuter dès aujourd'hui de ce que nous voulons et de ce que nous ne voulons plus et construire les bases d'une éducation libérée qui enseigne le jeu, la discussion et l'autonomie. Il en va de la réappropriation de nos vies. Il en va de notre présent et de l'aboutissement de nos rêves.
Profs cravateux, militants austères, récupérateurs de révolte en tout genre, VOS GUEULES, ON ENTEND QUE VOUS au 20H !
LA RUE EST A NOUS (si si si) !