La fin d'un rêve
(Article publié dans le magazine l'Echo du Village, été 2002)
« Je suis tout le temps inquiet au sujet de mon enfant et d'Internet, même si elle est trop jeune pour s'être déjà connectée. Voici de quoi je suis inquiet : j'ai peur que dans 10 ou 15 ans, elle vienne me voir et me dise "Papa, où étais-tu quand ils ont supprimé la liberté de la presse sur Internet ?" »
-- Mike Godwin
La République gérant actuellement notre pays a signé après la Seconde guerre mondiale un document d'une grande importance. Ce document, c'est la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, écrite par l'ONU et adoptée par plusieurs centaines d'états à travers le monde. Dans cette déclaration on trouve l'article 12, relatif à la vie privée, qui dit ceci : « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. ». En gros cela signifie que chaque citoyen a le droit que sa vie et sa correpondance reste privée et que personne ne vienne y mettre le nez.
Mais visiblement, les députés de l'Union Européenne sur les recommandations du G8 n'ont pas la volonté de voir cet article 12 rester bien longtemps dans la sus-citée déclaration. Ils ont voté à 340 voix pour et 150 contre pour la rétention des données de type téléphoniques et électroniques. Concrètement, il est indiqué que « les Etats membres pourraient lever la protection sur les données privées afin de mener des enquêtes criminelles ou de sauvegarder la sécurité nationale ou publique », ce qui signifie, selon l'Union Européenne elle-même, « des restrictions massives sur les libertés civiles ». Cette rétention de données donne la possibilité aux Etats européens de vous suivre à la trace et d'enregistrer tous vos déplacements grâce à votre téléphone portable, d'enregistrer toutes vos conversations téléphoniques, de savoir qui vous envoie des E-Mails et à qui vous en envoyez, de savoir sur quels sites vous allez à quels moments, etc.. Cette mesure est non seulement en totale contradiction avec la déclaration des droits de l'homme mais de plus elle pose une question légitime quand à notre liberté fondamentale d'expression.
Un peu de démocratie
« Devant la possibilité de savoir ou d'ignorer, la plupart des gens choisissent de savoir. Des guerres ont été gagnées ou perdues grâce à l'information. En fait, être mieux informé nous permet de prendre de meilleures décisions, et améliore globalement notre capacité de survivre et de réussir. ... Beaucoup de gens vivent aujourd'hui dans un régime démocratique, et lorsque ce n'est pas le cas, le souhaitent probablement. La démocratie est une réponse à la question du choix des dirigeants, et aux possibilités de limiter les abus de pouvoir. Cette réponse est permise par la possibilité pour la population de modifier leur gouvernement par le vote, bien que la liberté de voter ne signifie pas nécessairement que vous vivez dans un pays démocratique. Pour qu'une population puisse efficacement agir sur leur gouvernement, elle doit être correctement informée. Il s'agit d'une boucle de réponse, mais cette boucle est brisée dès lors que le gouvernement contrôle le contenu de l'information accessible à la population. ... La seule façon de garantir l'efficacité d'une démocratie est de s'assurer que le gouvernement ne peut pas contrôler les possibilités d'information de la population. Puisque tout ce que nous voyons ou entendons est filtré, nous ne sommes pas vraiment libres. » Source : http://www.freenetproject.org/
L'explication du régime démocratique faite par le site FreeNetProject.org ci-dessus est non seulement juste mais fondamentale. Si les Etats ont la possibilité de regarder et ainsi donc d'exercer une pression sur l'expression de chacun, nous ne pouvons pas disposer d'une liberté d'expression telle qu'énoncée dans l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui n'est pas la même que la première citée au début. C'est donc indirectement le fonctionnement même de la démocratie qui peut être remise en cause avec cette mesure de rétention des données. Bien sûr c'est un peu pousser la théorie un peu trop loin mais l'engrenage est à déclenchement aisé et cette mesure est un premier rouage mis en place. Et personne ne parle de cet mesure qui est pourtant importante. Tous les médias sont concentrés sur la Coupe du Monde. Et si un jour « ils » décident l'abolition de la liberté d'expression, qui en parlera et remuera le petit doigt ? Il n'y a qu'un pas à faire de plus pour qu'une démocratie devienne presque un régime autoritaire. Et à ce moment-là qui protégera le droit de rêver à un monde meilleur ?
A voir :
- L'article sur le site de ZDNet http://news.zdnet.fr/story/0,,t118-s2111162,00.html
- Textes fondamentaux http://www.justice.gouv.fr/textfond/textfond1.htm
- "Les confessions d'un voleur", de Laurent Chemla, aux éditions Denoël, et sur le site http://www.confessions-voleur.net/